A propos de la pièce

Du Théâtre au cinéma, toute l’aventure du Splendid

C’est cela, oui…

Qui n’a jamais prononcé cette expression sur un air suffisant?

Qui n’a jamais mis les ‘doubitchous’ sur le tapis pour désigner un plat immangeable?

Au fil des années les dialogues du ‘Père Noël est une ordure’ sont rentrés dans l’imaginaire collectif. Tout comme ceux des Bronzés puis des Bronzés font du ski qui, quelques années auparavant, avaient constitués une petite révolution dans le milieu du septième art.

A bas le cinéma de Papa! Autour de nouveaux venus nommés Josiane Balasko, Michel Blanc, Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Thierry Lhermitte ou Dominique Lavanant, le public se régale d’un humour inédit dont la fraîcheur tranche avec l’accumulation des mots d’esprits à la Michel Audiard, et dont l’acidité fortement ancrée dans les mœurs de l’époque fait naître de vraies satires sociales.

Avec des personnages aussi réalistes et gratinés que Thérèse, qui tricote des moufles pour les enfants de Djakarta, ou Félix, l’alcoolique qui gagne sa vie comme Père Noël…

Le Splendid

A l’origine de ce miracle, il y a une troupe de comiques: le Splendid.

Tous les fondateurs de cette compagnie firent partie de la même classe de seconde au lycée Pasteur de Neuilly: Gérard Jugnot, Christian Clavier, Michel Blanc et Thierry Lhermitte. Mis à part Jugnot qui animait le ciné-club, ne jurait que par Bunuel et ambitionnait de devenir metteur en scène, aucun des autres compères n’avait la flamme sacrée.

Lhermitte, dont on connait les dons athlétiques, fréquentait plus les stades que les cours de théâtre et Michel Blanc suivait assidûment des études littéraires. Pourtant la machine infernale se met en marche: Jugnot réalise un premier film en 16mm (Le désespoir de cathode), utilise ses copains tandis que Michel Blanc se met à l’écriture. En première, puis en terminale, ils montent ainsi La concierge est tombée dans l’escalier.

C’était en 1971/1972.

Des débuts jusqu’à « Amours, coquillages et crustacés »

Le Splendid n’est cependant pas encore le Splendid. Le Quatuor écrit ‘Non, Georges, pas ici’, qui a droit à trente représentations. Suit ‘Je vais craquer’, qui connaît un tel succès au café-théâtre de l’Odéon que la troupe, renforcée par Marie-Anne Chazel et Valérie Mairesse, décide de fonder son propre établissement.

Un patron de bistrot leur loue son local. Sur la façade s’inscrit son tout nouveau nom: Le Splendid!

En 1976, le théâtre déménage… pour cause de succès. Il élit domicile dans le centre de Paris, quartier des Halles. De nouveaux membres, Josiane Balasko, Dominique Lavanant, Bruno Moynot, arrivent pour la dernière pièce maison, ‘Le pot de terre contre le pot de vin’. Celle-ci ne remporte pas le succès escompté. Qu’à cela ne tienne: la suivante ‘Amours, coquillages et crustacés’ est un triomphe. « Cette troupe et ses spectateurs avaient le même âge, riaient des mêmes situations, partageaient les mêmes colères contre les médiocrités contemporaines » écrit Patrice Lecomte, expliquant le phénomène autour de cette dernière pièce, une satire des Français moyens et de l’esprit club de vacances qui connaissait à l’époque, un formidable essor.

Il faut dire que la troupe avaient été engagée pendant trois années consécutives pour animer l’été du Club Méditerranée. Dans ses bagages, chacun avait ramené de quoi donner vie à cette galerie de personnages, typés sur le mode « ce pourrait être mon voisin », souvent grognons, bébêtes, parfois antipathiques, mais tellement drôles. L’adaptation cinématographique d’Amours, coquillages et crustacés’, sort au cinéma en novembre 1978 sous le titre: Les Bronzés, et attire les foules. Un an plus tard presque jour pour jour, le Splendid sort Les Bronzés font du ski, écrit spécialement pour le cinéma. Le grand public est à nouveau au rendez-vous. A tel point que le producteur propose de rempiler pour un troisième opus. L’idée d’un Bronzés à New York émerge, mais finalement la troupe décide que les personnages ont fait leur temps, et que mieux vaut s’attaquer à de nouveaux projets. Il y a ce retour sur les planches, tous ensemble (ou presque), pour une nouvelle pièce qui triomphe à guichets fermés et va devenir, peut-être encore plus mythique qu’Amours, coquillages et crustacés’: Le Père Noël est une ordure.

La naissance du Père Noël

Si chacun des membres du Splendid commence à être reconnu pour une personnalité propre, tous n’en gardent pas moins le plaisir de se retrouver, d’imaginer ensemble des situations rocambolesques et de faire jouer leur incroyable alchimie. Brunot Moynot (alias Mr Preskovitch) raconte qu’ils se retrouvaient à 6 ou 7 pour de longues après-midis de création, au cours desquelles chacun prenait le stylo à tour de rôle pour noter les idées qui fusaient. Parfois on rigolait bien mais le travail n’avançait pas beaucoup. Parfois c’était le contraire. Bien sûr, si le travail était collectif, chacun apportait sa propre sensibilité. Nous étions proches les uns des autres, mais nous savions pertinemment ce que chacun pouvait amener. Si le public nous percevait comme une entité, nous, nous savions que nous étions une association d’individualistes. » Au départ le Père Noël est une ordure devait s’intituler ‘Le Père Noël s’est tiré une balle dans le cul’. Le titre est parti mais l’esprit est resté. Car la pièce, puis le film, vont bien au-delà de cette satire de la « beaufitude » qui présidait dans Les Bronzés. Là, il s’agit d’une véritable caricature, très noire, très méchante, qui tourne volontiers au jeu de massacre. Les personnages n’ont plus cette obligation d’être sympathique: Félix, qui s’acharne sur sa femme est nettement plus arrogant, plus dangereux que Bernard Morin des Bronzés. Bruno Moynot raconte que la troupe, consciente de l’aspect bien peu consensuel de la pièce, a « suspendu les répétitions deux ou trois mois avant de les reprendre. Nous n’étions pas sûr de notre coup, nous nous disions que ça n’allait faire rire que nous. »

L’aventure continue

Et pourtant les amateurs de café-théâtre se régalent une fois de plus devant une comédie acide qui tire tous azimuts – et fait même des morts! Sur scène les comédiens créent des personnages, mais rien n’est figé. Au départ c’est Roland Giraud qui remplace Christian Clavier dans le rôle du travesti, tirant la pièce, selon le témoignage de Marie-Anne Chazel (alias Zezétte) vers la farce, le burlesque, alors que l’autre en donnera une représentation plus douloureuse, plus grave, plus tragique.

De même, certains comédiens se remplacent les uns les autres en fonction de leurs emplois du temps: ainsi Michel Blanc (le pervers au téléphone) remplace-t-il parfois Gérard Jugnot (le Père Noël), tandis que le rôle de Zézette échoue de temps en temps à Josiane Balasko.

En effet, cette dernière ne tient pas, à ce stade, le rôle de Madame Musquin qui, en fait n’existe pas encore. Elle avait participé comme les autres aux séances de travail et était supposée camper Thérèse. Mais lorsque la pièce se monte elle joue Bunny’s Bar en compagnie de Michel Blanc. Anémone est réquisitionnée pour la remplacer. Elle fait un triomphe en vieille fille gentiment bébête, à tel point qu’il n’est plus envisageable de confier le rôle à qui que ce soit d’autre. Malgré tout, désireuse de s’amuser aux côtés de ses vieux potes lorsque ceux-ci parlent de prolonger l’aventure sur grand écran, Josiane Balasko a donc droit à un tout nouveau personnage… dont on comprends que, pour ne pas gêner au milieu de situations déjà rôdées, il soit relégué dans un ascenseur pendant la majeure partie du récit!

Après un an et demi de succès c’est le producteur des deux Bronzés qui propose d’adapter le Père Noël au cinéma. Cette fois le groupe a envie de s’impliquer plus à fond dans le tournage et crée sa boîte de production: Les films du Splendid. Le choix du metteur en scène se révèle crucial; ce sera Jean-Marie Poiré. Il insiste pour modifier les premières scènes. « Le début de la pièce était inénarrable. Thierry Lhermitte arrivait avec un manteau coupé en deux, parodiant Saint-Martin qui avait donné son manteau à un mendiant, en oubliant que dans la partie offerte il y avait son portefeuille ».

Selon le réalisateur, une telle entrée en matière est inimaginable au cinéma. « Un film est un objet inanimé, qui ne fait pas naître la sympathie immédiate que les acteurs recueillent sur scène. Il n’y a pas la chaleur d’une pièce de théâtre, dans laquelle les comédiens sont applaudis quand ils fonts leur entrée. »

… jusqu’au grand écran

Le tournage démarre avec les scènes du début, tournée en novembre 1981, afin de profiter des vitrines de Noël. La suite est tournée entre mars et avril de l’année suivante.

Le film est prêt pour sa sortie, le 25 août 1982. La R.A.T.P. et la Ville de Paris refusent de louer leurs emplacements publicitaires pour l’affiche dessinée par Reiser (du journal Charlie Hebdo). Le titre est jugé trop incorrect: on n’insulte pas un mythe, un mythe pour les enfants qui plus est! C’est la première déconvenue entourant le lancement du film pourtant bientôt culte. La critique, elle, ignore royalement ce Père Noël est une ordure tout comme elle avait snobé jadis les deux aventures des Bronzés. Et le public? Avec 437,000 entrées à Paris, le résultat n’a rien d’un triomphe.

Puis petit à petit, les dialogues absurdes, les situations improbables sont répétés par le bouche à oreille, singés dans la vie quotidienne. Le relais de la télévision aidant, le film devient connu de tout le monde. A la fin des années 80, il ne fait plus aucun doute: Thérèse, Zézette, le kloug et les doubitchous ont marqués leur époque… et pour longtemps. S’il n’a jamais été question d’un Père Noël numéro 2, signalons quand même le remake américain tournée en 1994 par Nora Ephron, la scénariste de Quand Harry rencontre Sally, sous le titre ‘Mixed Nuts’, avec notamment Adam Sandler.

« J’ai été stupéfait de constater qu’ils l’avaient situé à L.A. » commente Jean-Marie Poiré. « C’est le seul endroit au monde où il n’y a pas de Noël: les gens ne marchent pas dans la rue, ils restent dans leur voiture, et l’ambiance hivernale n’y est pas ». Il conclut en disant: « Le film a d’ailleurs fait un bide total ».